Compte rendu du général
Allard à Napoléon III
|
Au
mois de Décembre 1859, une escadre quittait les ports de
France,
transportant une petite armée de 8OOO hommes environ vers
les mers de
Chine et allant demander compte au chef du céleste empire
d'insultes et
d'actes barbares commis envers nos nationaux.
L'Angleterre concourrait avec des forces peu supérieures
aux nôtres Ã
l'exécution de cette noble et audacieuse entreprise.
La campagne débuta par la prise des forts de Ta-Kou à l'embouchure du Pei-Ho.
Après ce premier fait d'armes, les
ambassadeurs de
France et d'Angleterre se transportèrent
immédiatement à Tien-Tsin,
où ils arrêtèrent
avec le
commissaire impérial Chinois, un projet de convention.
Ce dernier, accédant en apparence à toutes
les demandes des puissances
alliées, se déclarait prêt
à accepter leur ultimatum.
Les ambassadeurs se disposaient à se rendre Ã
Pékin avec
une escorte convenable, lorsque le commissaire Chinois,
alléguant tout
à coup le manque de pleins pouvoirs, se refusa de signer
les
préliminaires qu'il venait d'accepter, et
déclara aux ambassadeurs
qu'il ne pouvait traiter que sur l'approbation de son souverain.
Les
ambassadeurs, pour répondre à un
procédé d'aussi mauvaise foi
résolurent, d'un commun accord, le 8 Septembre 1860, qu'on
ferait
avancer les forces alliées jusqu'à Tong-Tchou, ville
de 400 000 âmes, située sur la route de
Pékin, à quatre lieues de cette
capitale, et que là seulement, on écouterait
les propositions des
commissaires impériaux, munis cette fois de pleins
pouvoirs en règle.
Après
plusieurs messages sans résultat, le prince d'y'Tsin
annonça que le
gouvernement accédait à tout ce que l'on
exigeait de lui, et demandait
que, dès lors, les forces alliées
s'arrêtassent à 6 milles en avant de Tong-Tchou.
Cette proposition fut agréée;
mais au moment où les
troupes arrivaient à Chang-Kia-Wang,
sur la limite indiquée pour leur bivouac, elles se
trouvèrent en face
d'une force tartare de 15 Ã 20 000 hommes qui,
démasquant soudainement
70 pièces de canon, ouvrirent aussitôt le feu
contre elles.
Malgré
cette attaque aussi odieuse qu'inattendue, il ne fallut qu'une heure
aux troupes alliées pour enlever, avec des pertes peu
considérables,
tout ce qui était devant elles et mettre dans la plus
complète déroute
l'ennemi qui laissa 1500 des siens sur le champ de bataille.
Après ce succès, les forces Franco-Anglaises,
laissant à leur droite Tong-Tchou,
qu'elles
savaient complètement abandonnée, se
portèrent sur Pékin
par Palikao, situé
à trois lieues en avant, où
s'était formé un camp
considérable, défendu
par une nombreuse artillerie, par le canal qui relie le Pei-Ho à Pékin,et
occupé par l'élite des
troupes impériales sous le commandement de San-Koli-Tsin.
LÃ eut lieu, le 21 Septembre 1860, une lutte
décisive autour du pont de
Palikao,
dans laquelle une poignée de Français, 2000
hommes environ, appuyés par
la cavalerie Sikh-Anglaise, eut à combattre pendant cinq
heures contre
des forces évaluées à plus de 40
000 hommes, et remporta une victoire
complète qui nous ouvrit les portes de la capitale du
céleste-empire.
Général
Allard -
commissaire du Gouvernement-Président rapporteur-
Extrait tiré du livre «
La noblesse de
France ».
|
 |
|
Mais,
laissons parler un observateur sur le terrain:
Après
avoir pris et occupé Tien-Sin pendant quelques jours, la
petite armée
Anglo-Française- 12000 hommes environ-quitta cette ville
le 10
Septembre 1860 pour gagner Pékin.
Par étapes, on marcha dans
cette contrée qui côtoie le canal
impérial s'embranchant sur le Pei-Ho
et aboutissant à la capitale de la Chine.
Le 18 Septembre on
atteignit une cité importante, Tong-Tchou. En cet endroit,
le corps
expéditionnaire faillit tomber dans un abominable
guet-apens préparé
par la perfidie des Mandarins.
Mais les généraux Cousin
de Montauban
et Grant, mis en
éveil,
déjouèrent la manoeuvre et
infligèrent aux troupes Chinoises une
sanglante défaite.
Plusieurs
Français et Anglais, appartenant Ã
l'état-major, n'ayant pu s'échapper
à temps, étaient demeurés
prisonniers et subirent d'horribles
traitements. Cette trahison avait exaspéré
les hommes du corps
expéditionnaire.
Il faut ravoir nos prisonniers, crièrent-ils,
quand nous devrions laisser notre
peau ici!
Des
espions accoururent nous avertir que le
généralissime de l'armée
tartare avait rassemblé une troupe
considérable, en avant du pont de
Palikao, à douze Kilomètres de
Pékin pour nous fermer le chemin de la
capitale.
Fier de son armée, le
généralissime avait promis au fils du ciel de
tailler en pièces les barbares.
Suivant
la droite du canal, le 21 Septembre, de grand matin, le corps
Français-environ 5 000 hommes avec une petite
artillerie-se met en
marche pour atteindre le pont de Palikao.
Après avoir franchi
trois kilomètres, il débouche dans une vaste
plaine en partie boisée;
dans le lointain apparaissent les arches
élevées du pont; au milieu de
cette plaine, déployée en fer Ã
cheval, évolue toute la cavalerie
tartare: environ 25 000 hommes armés de lances, d'arcs, et
montés sur
des chevaux vigoureux. Derrière ces cavaliers se montrent
les quelques
maisons formant le village de Palikao, où est
retranchée une infanterie
d'élite.
Il est 7 heures du matin, le temps est beau, le soleil radieux.
Immédiatement, le général
de Montauban
prend les dispositions suivantes:
- Une petite colonne d'avant-garde
commandée par le général
Collineau,
composée d'une compagnie du génie, de deux
compagnies de chasseurs Ã
pied, d'un détachement de pontonniers, de
fuséens, d'une batterie de
12, et de deux pelotons d'artillerie à cheval,
reçoit l'ordre de se
porter en avant.
- Le général
Jamin,
avec le reste du bataillon de chasseurs à pied, une
batterie de 12 et
le 101 è de ligne, suit ce mouvement.
Les
premiers escadrons de la cavalerie tartare se lancent au trot sur nos
chasseurs à pied. Ceux-ci les accueillent par un feu
nourri.
Devant
cette fusillade meurtrière, les cavaliers ennemis reculent
légèrement;
puis de nouveaux escadrons ayant bouché les vides, ils
recommencent une
vigoureuse charge, avec l'intention de déborder, sur la
gauche, la
petite colonne Française.
Alors le général
Collineau met
ses canons en batterie, et le feu de cette artillerie creuse des vides
sanglants parmi les cavaliers tartares.
Ceux-ci sont si nombreux, si épais au milieu de la plaine,
que la lutte
continue avec le même acharnement de leur part.
Le général de
Montauban
accourt avec le reste de ses troupes pour appuyer la
résistance de son
lieutenant; puis un grand fracas d'artillerie se fait entendre sur sa
droite: ce sont les canons de l'ennemi, dissimulés par un
rideau
d'arbres, qui prennent part à la bataille.
Mais les artilleurs
Chinois sont mauvais pointeurs, leurs boulets passants au dessus de la
tête de nos hommes sans leur faire aucun mal.
Le colonel Schmitz,
chef de l'état-major, se porte de lui-même en
avant dans la direction
du canon de l'ennemi, et vient rapporter au
général en chef que le
point d'où part cette canonnade-d'ailleurs peu
dangereuse-est un massif
boisé en avant du pont de Palikao.
Aussitôt, le général
Jamin
reçoit l'ordre de faire déployer sur sa
droite, face au canon, un
bataillon de chasseurs, les fuséens, une batterie de 12,
avec les
bataillons du 101 è de ligne formés en
carrés.
Malgré ces
dispositions rapidement prises, le
généralissime tartare fait charger
en masse profonde, avec le but évident d'envelopper de
toutes parts nos
vaillants soldats.
Si la manoeuvre réussit, c'est notre
écrasement, notre dispersion, la
route de Pékin fermée.
La
lutte devient émouvante, furieuse. La cavalerie tartare se
précipite Ã
la fois sur le centre, sur la gauche, et sur la droite du petit corps
d'armée, sans parvenir à se frayer un passage.
- A gauche, une poignée d'hommes du
général
Collineau résiste
énergiquement, et
la batterie du capitaine Jamont
foudroie presque à bout portant les escadrons ennemis.
- Au centre, les fuséens, les chasseurs
à pied,
soutenus par une batterie de 12, combattaient avec une
égale vaillance.
- A droite, le 101 è de ligne
commandé par le brave colonel
Rouget,
disposé en carré, arrête
l'ennemi par un feu meurtrier et nourri.
Malgré
des pertes énormes, les cavaliers tartares, toujours
renforcés par de
nouveaux escadrons, debout sur leurs étriers, brandissant
leurs lances,
décochant leurs flèches avec des cris
féroces, s'acharnent toujours sur
nos lignes.
Le général en chef, les officiers de son
état-major suivent avec
anxiété les
péripéties de ce combat épique.
Décidément, ces canailles
veulent nous envelopper! dit le commandant Campenon,
de l'état-major, au colonel
Schmitz.
Mais
voici qu'un épais nuage de poussière se montre
sur la gauche;
bruyamment le sol frémit et un cri de joie
s'échappe de toutes les
poitrines, saluant ainsi l'arrivée de l'armée
Anglaise sur le champ de
bataille.
Primitivement, il avait été convenu que le
corps
Anglais passerait par le canal, au delà de Palikao, sur un
pont de
chevalets, pour revenir attaquer les Chinois à revers.
N'ayant pu exécuter cette manoeuvre, en raison des forces
trop
considérables de l'ennemi, le général
Grant
avait immédiatement rebroussé chemin et
venait rallier le corps
Français.
A
leur tour, les escadrons Anglais poussent des charges
impétueuses au
milieu de la cavalerie tartare et obligent enfin celle-ci
à une
retraite désordonnée, définitive.
Affranchi de l'inquiétude d'être
enveloppé, le général
de Montauban commande au général
Collineau de gagner le bord du canal en contournant le
village de Palikao: le général
Jamin
va attaquer de front la position, puis marchera droit vers le pont.
Le village, abordé par ce dernier avec une belle vigueur,
est défendu
pied à pied par l'infanterie Chinoise.
Celle-ci
est composée d'hommes d'élite
surnommés les
« tigres » parce
que leurs
uniformes, zébrés de raies noires, rappellent
le pelage de l'animal
dont ils portent le nom.
Avec la prise du village, la bataille
n'est pas terminée: elle continue dans les maisons, au
milieu des
bouquets d'arbres disséminés sur les bords du
canal.
L'entrée du
pont de Palikao est défendue par des pièces
d'artillerie. Les
canonniers tartares tirent sans relâche, mais leur tir
reste toujours
défectueux: les projectiles passent au dessus de la
tête des
assaillants, sans les atteindre.
Arrivé sur les bords du canal, le général
Collineau attaque avec son artillerie le pont de Palikao,
en écharpe, tandis que le colonel
de Bentzmann,
ayant fait avancer les fuséens, et une batterie de 12,
ouvre le feu en
enfilade sur le pont.
Les »tigres »,
armés de fusils à mèche, se sont
repliés, puis massés sur la
chaussée,
et répondent à découvert, par un
feu heureusement impuissant, Ã celui
de nos pièces et de notre mousqueterie.
Au bout d'une
demi-heure, le feu concentré de nos batteries a fait
taire le
canon de
l'ennemi; tous les artilleurs Chinois ont été
tués.
Alors, le général
Collineau,
joignant à son avant-garde la compagnie du 101
è, commandée par le capitaine
de Moncets, envahit le pont de
Palikao.
Les tartares, privés de leurs chefs, se retirent vers
Pékin, dont la
route nous est maintenant ouverte.
Il est midi. La bataille est gagnée, elle a
duré cinq heures.
A son retour, le général
de Montauban,
suivi de son état-major, franchit le pont de Palikao. Il
est acclamé
par les soldats débordant d'enthousiasme et d'ivresse
guerrière.
Merci,
mes amis, crie t-il,
aujourd'hui la France a le droit d'être contente de nous !
Puis, les clairons sonnent la halte, et les troupes
Françaises s'établissent sous les tentes des
tartares.
Nous avions infligé à l'ennemi des pertes
énormes: 3000 morts et
blessés. Le corps expéditionnaire n'eut que
53 tués ou blessés.
Le comte d'Herisson qui faisait
partie de l'état-major Français comme
interprète, traduit ainsi son
impression sur cette glorieuse journée:
"Cette bataille faisait l'effet d'un rêve.
On marchait,
on tirait, on tuait, et personne n'était
touché, ou presque personne."
Le général
de Montauban
terminait par ces lignes son rapport au ministre de la guerre:
« On
ne peut réellement expliquer que par
l'infériorité de son armement les
pertes peu considérables qu'un ennemi aussi nombreux,
aussi tenace,
nous a fait subir. L'ennemi nous entourait à perte de vue;
les rapports
des prisonniers, des espions, reçus après ma
première dépêche- pour ne
parler que des moins exagérés- varient, dans
l'évaluation des forces
Chinoises, de 40 000 Ã 60 000 hommes. Tout cela est si
étrange que pour
se rendre compte de nos succès, il faut remonter bien haut
dans le
passé, et se rappeler les victoires constantes de quelques
poignées de
soldats Romains sur les hordes barbares ».
Récit tiré
du
journal « L'abeille de la
Nouvelle-Orléans » du Dimanche
7 Octobre 1900.
|
|
|